La taxe sur la copie privée aura-t-elle raison des reconditionneurs ?

6/03/2024 - Mis à jour le 8/03/2024

La taxe sur la copie privée aura-t-elle raison des reconditionneurs ?

Depuis quelques temps, les entreprises du reconditionnement se voient misent en demeure de payer la redevance sur la copie privée avec le risque d'une déstabilisation d'un secteur d'activité fragile. Retour sur cette redevance, son application et ce qu'elle représente dans notre pays.

Qu’est ce que cette loi sur la copie privée ?

Il ne faut pas confondre «copie privée» et «droit d’auteur» car la première est un dérogation à la deuxième permettant aux utilisateurs de copier à loisir des oeuvres pour usage privé.
Ainsi lors de l’achat d’un produit électronique tels qu’un smartphone, une tablette, une clé USB ou tout support embarquant une unité de stockage, une petite partie du prix de l’appareil qu’un particulier paye lors de son achat, est reversée aux créateurs, artistes, producteurs qui, en contrepartie, concèdent la diffusion de leur contenu tels que de la musique, des séries ou des films, pour un usage privé.
On peut donc considérer la copie privée comme un licence légale permettant d’utiliser les contenus des créateurs dans le cadre d’une utilisation privée.

Qui gère la copie privée ?

Depuis 1985, année de sa création, la collecte et l’application de la copie privée est gérée par Copie France, organisme qui rassemble sept sociétés membres regroupant les bénéficiaires de cette collecte que sont les auteurs, les artistes-interprètes, les producteurs et des représentants des consommateurs. Copie France est une organisation dépendant du ministère de la culture. Initialement cette redevance était payée sur l’achat de supports d’enregistrements tels que les cassettes audio et les CD mais avec l’évolution des technologies et l’arrivée des téléphones portables la taxe s’est adaptée à ces nouveaux supports. En 2021, cette taxe a rapporté environ 300 M€. C’est une commission ad hoc dite «commission copie privée» qui fixe son montant en fonction de la durée ou de la capacité d’enregistrement ainsi que des comportements de copie estimés par des études d’usages réalisées à partir de sondages. La RCP (Redevance de Copie Privée) est payée par les constructeurs et importateurs. Les Smartphones et les tablettes représentent 80% de la collecte et aussi bizarre que cela puisse paraitre, les ordinateurs ne sont pas inclus dans ces appareils bien qu’ils comportent des espaces de stockage. En l’espace de 20 ans les montants collectés ont été multipliés par 3 et à titre de comparaison le montant collecté par habitant est 2 fois plus élevé en France que la moyenne Européenne. Seule l’Allemagne a un taux proche de la France. On peut s’en réjouir d’une certaine façon car ces fonds alimentent la création artistique, symbole important de notre pays et on estime que 200000 interprètes et auteurs en bénéficient ainsi qu’environ 1600 producteurs. Selon ce rapport on constate d’importantes différences entre les bénéficiaires. Une petite minorité récolte une grande partie de ces sommes et l’immense majorité ne perçoit qu’une infime partie.

Taxe ou rémunération légitime ?

Beaucoup considèrent que la copie privée n’est qu’une taxe. Selon Copie France, qui gère son application ce n’est pas le cas. Elle est une rémunération dite «compensatoire» pour les auteurs et qui permet de financer la création artistique et culturelle.
Initialement la rémunération/taxe sur la copie privée est perçue par le constructeur qui la fait payer au consommateur et qui la reverse à Copie France.

Néanmoins des questions se posent quant à la légitimité de cette redevance. De fait on télécharge de moins en moins les contenus, films ou musiques qui sont majoritairement lus ou écoutés via des plateformes de streaming.

La question se pose aussi et surtout sur la légitimité de cette redevance appliquée aux appareils reconditionnés dont la redevance a été initialement payée une première fois lors de l’achat du produit neuf. D’ailleurs les professionnels du reconditionnement sont vent debout contre cette redevance qui pourrait mettre en péril leur activité. En effet, Copie France réclame des sommes astronomiques à ces professionnels du reconditionnement qui ne pensaient pas devoir payer cette redevance. Un procès en cours contre plusieurs acteurs du reconditionnement et dont le verdict est attendu très bientôt permettra de faire la lumière et certainement servira de jurisprudence. Si l’issue devait confirmer le paiement de cette redevance par les acteurs du reconditionnement au taux demandé, il est fort à parier que cela sonnerait la fin de nombre d’entre eux. Alors pourquoi fragiliser un secteur d’activité qui a l’énorme avantage de générer des emplois et contribue de façon significative à une consommation plus vertueuse pour notre environnement ?

Un rapport sur le fonctionnement de Copie France met en lumière des dysfonctionnements majeurs.

Une mission de l’inspection générale des finances et des affaires culturelles a sorti un rapport sur la rémunération pour copie privée remis au parlement en octobre 2022. Ce rapport formule plusieurs propositions qui ont pour objectif :

  • D’améliorer la gouvernance du dispositif, afin de permettre une participation plus équitable des parties prenantes et un enrichissement de la collégialité des décisions.
  • D’adapter le mode de calcul de la redevance à la réalité des usages et d’en améliorer la transparence et l’acceptabilité.
  • De simplifier les exonérations et remboursements des usages professionnels de supports d’enregistrement. Ce rapport égratigne Copie France sur ses modes de calcul et de fonctionnement qui apparaissent obsolètes et plus globalement sur le dispositif qui souffre, selon le rapport, de dysfonctionnements internes majeurs qui contribuent à fragiliser son acceptabilité.

Ainsi le mode de calcul qui a pour vocation de mesurer les barèmes de RCP ne reflète pas correctement la transformation des usages introduite par le numérique comme l’avènement ces dernières années des plateformes de streaming où il n’est plus nécessaire de télécharger le film que l’on regarde ou la musique que l’on écoute. Le rapport suggère que l’ARCOM réalise des études d’usages afin de renforcer l’expertise car les méthodologies de calcul n’ont pas été changées depuis 2012 alors que les comportements d’usage eux ont très largement évolués.

La commission chargée de déterminer les barèmes est composée pour moitié des ayants droits, pour un quart des industriels et pour le dernier quart des consommateurs. Les ayants droits sont sur-représentés selon ce rapport et il est amusant de constater que sur le site de Copie France, le lien qui permet de voir la composition de cette commission, est juste inaccessible… Le rapport suggère de purement et simplement supprimer cette commission au profit de comités indépendants tels que l’ARCOM ou l’ARCEP qui seraient à même de fixer le barème selon des données d’usage plus actuelles.

Une autre critique de ce rapport met en lumière le poids que avoir la RCP sur le fonctionnement des marchés des matériels car certains payent cette rémunération et d’autres non car ils échappent à Copie France. Sont visés ici des sites de vente en ligne de téléphones ou tablettes établis à l’étranger créant ainsi une distorsion de compétitivité.

Enfin ce rapport évoque une exonération pure et simple des achats de supports par les entreprises et permettrait de taxer l’acquisition d’ordinateurs auprès des particuliers. Le rapport parle aussi de l’assujettissement des produits reconditionnés dès lors qu’ils ne se substituent pas entièrement aux neufs.